A PROPOS Marc-Henri Garcia: Pour commencer, pourrais-tu décrire ta manière générale de procéder? Si on parle de procédé, est-ce que c’est la même chose pour chaque série de toiles? Est-ce qu’il y a un rituel, un process que tu répètes peu importe le format ou le sujet? Sebastien Thebault-Belarra: Oui, enfin non, il y a des sujets. Ce qui serait bien, c’est de parler d’un sujet que je n’ai pas encore peint. Donc là par exemple, il y a les logos sur les fringues, par exemple «pas de sèche-linge» tu vois, ces logos-là... Donc là, je pense à une série de peintures, je pense à un format carré où je ferais rétrécir trois couleurs et du coup on verrait une partie de la toile vierge, quelque chose qui rappellerait le linge, le tissus et jouer avec ça. C’est déjà un sujet de peinture, enfin pour moi. MHG: Du coup, tu parles souvent de choses logotypées, de graphisme... Ça c’est une constante depuis le début... STB: Oui tout à fait, et après il y a eu toute cette période où j’ai envie de dire «d’avoir vécu». Les années skate et surf. On vivait dans des skatepark en permanence. MHG: C’est vrai, j’avais oublié, il fallait avoir les bonnes marques, les bons logos... STB: Effectivement, il y avait beaucoup de marques, une tenue à avoir, ... etc. Et puis il y avait le fait de vivre au milieu de tous ces modules, de ces formes géométriques et de vivre physiquement quelque chose avec elles, d’être sur elles. En tout cas, j’ai ce souvenir-là. MHG: Ce sont presque des modèles mathématiques appliqués à la physique, il faut que ce soit utilisable. Si tu ne regardes pas forcément les gens qui ont le même propos, sur la skate-culture par exemple, du coup, c’est quoi tes sources d’inspiration? Les endroits où tu vas piocher des formes... Tu vois, ces non-moments qui ne sont pas réellement esthétiques pour le commun que tu choisis de remettre en avant... STB: Oui, alors même si je ne cible pas vraiment, il y a des références picturales, dans l’architecture par exemple je ne cible pas vraiment un groupe d’architectes ou des formes, pas du tout, c’est un tas d’architectures différentes, je ne veux surtout pas cibler. Ça m’effraie les références, je vois en peinture les références que j’ai, elles sont très présentes donc je fais hyper gaffe à ça. Sans vouloir paraitre pédant, je recherche un truc dans la peinture, je regarde mais je fais gaffe. MHG: Par exemple, il y a des évidences, Frank Stella mais dans la manière dont il compose son travail, vous êtes à l’opposé... STB: Oui complètement, Alors en fait, il y a une sorte de digestion parce que je ne me focalise pas, alors même lorsque je vous expliquais les peintures que j’ai envie de faire en partant d’un logo, je sais qu’à ça va se rattacher, se mélanger le contour d’un panneau de signalétique, tu vois ce que je veux dire? MHG: Oui, alors du coup, le sens est hyper personnel, c’est toi, ton cheminement, j’y vois une dimension romantique, poétique... STB: Oui, alors je me sens très proche de Hugo Pernet même si sa peinture est complètement différente maintenant, dans toutes ses peintures abstraites, si tu écoutes ce qu’il dit, c’est une forme poétique, ça n’a parfois pas de sens, c’est juste parfois de la résonance de mots et je trouve ça intéressant de construire des tableaux comme ça, juste dans la résonance de formes et de couleurs... MHG: Tu parlais de ne pas être dans la référence mais moi je ne peut pas m’empêcher de voir des références... STB: Non mais complètement, il y en a des références mais je ne veux pas en parler parce que quand je fais ça je ne veux pas "faire" de références, elles sont là car on en est tous inondés, on a plus trop le choix maintenant. MHG: Pourquoi il n’y a jamais de figure humaine ou animale dans ton travail, tu l’as déjà fait une fois? Tu as été tout de suite vers des formes abstraites? STB: J’ai commencé par peindre des paysages à la peinture à l’huile. Pendant 4 ans j’ai repeint des tableaux de Turner, j’allais à la Tate Gallery, j’observais, je bossais, j’étais fasciné par Turner, c’est ça qui m’a lancé dans la peinture en fait. Je voulais sentir quelque chose de technique tu vois, je voulais sentir ce résultat, savoir comment il avait fait pour l’obtenir. Après je me suis dit, bon, la peinture ok, vais-y. Après, je suis allé aux Beaux-Arts et là j’ai découvert. MHG: Mais aux Beaux-Arts, j’étais là et tes premières peintures étaient déjà abstraites... STB: Oui, quand je suis arrivé aux Beaux-Arts, j’ai arrêté mes paysages dès la première année, j’ai commencé à vouloir découvrir, à vouloir comprendre. Et c’est Buren, le premier que j’ai voulu comprendre, parce que c’était tellement évasif ce qu’il racontait sur BMPT avec Olivier Mosset, ils se défendaient de quelque chose, on leur demandait de se justifier et si tu regardes sur youtube, leurs interventions parlées sont un peu et aujourd’hui quand tu écoutes Buren c’est plus intéressant. MHG: Ils se justifiaient beaucoup aussi à l’écrit... STB: Oui, c’est un peu chiant, je n’aime pas du tout ce rapport à l’art. MHG: J’ai l’impression que Buren a découvert l’art tard, en ayant cette posture conceptuelle. Effectivement il n’était pas au point au début et au fur et à mesure, à force de se faire critiquer. Surtout, ce qui a du lui faire mal, c’est de ne pas se faire accepter par le MoMA, par les peintres minimaux américains. À partir de là, il a commencé à repenser son travail en fonction de l’architecture... STB: Oui tout à fait, il a commencé à récupérer des choses exploitables sur les lieux... MHG: En fait je pense qu’il y a une chose qu’il n’a pas compris Danny B, c’est qu’il avait inventé le graffiti en fait, que c’était une des premières personnes à dire «on on va sortir de la galerie et les murs c’est bien mieux»... mais c’est un autre sujet... En peinture tu regardes tout? Tu est fan de certains peintres? STB: Mais oui, je regarde tout évidemment! Mais même aussi dans la pratique, par exemple aussi, j’aime beaucoup Morellet et il m’arrive de choisir mes couleurs au hasard, j’écris sur des papiers des couleurs et je les pioche au hasard. Mais je fais attention, ce sont des mélanges de références. MHG: Oui, de toute façon il n’y a pas un protocole, au final tu n’as pas besoin de ces références, c’est pour te rassurer quelque part... STB: Le truc qui serait génial, ce serait de ne plus avoir accès à Instagram, de pouvoir cibler, de ne pouvoir plus regarder qu’en allant à la bibliothèque tu vois, de pouvoir cibler un travail mais c’est encore un peu dangereux parce que c’est encore se considérer comme faisant partie d’une famille et je ne veux pas cela. MHG: Après, autant tu ne modifies pas tes sujets, autant je vois une évolution dans ton travail depuis les toutes premières toiles où il y avait de grands aplats d’une couleur avec une forme qui apparaissait sur un bord, des choses assez rectilignes et là déjà il y a plus de couleurs et de composition et donc du coup ça crée d’avantage de narration... Donc est-ce que tu n’es pas en fait en train de glisser vers des formes de plus en plus narratives, de plus en plus romantiques? Vers un "robot-romantisme" car il y a toujours un duel entre l’homme et la machine dans tes peintures, il y a une sorte de volonté quelque part d’être aussi propre qu’un outil... STB: Oui oui c’est possible, alors pas aussi propre qu’un outil mais la volonté de voir deux couleurs s’approcher comme ça, se contrer mais je n’ai pas envie d’imiter une imprimante... même dans ma manière de faire des aplats, je ne suis pas du tout dans la méthode suisse, une couche-un ponçage-une couche un ponçage... pas du tout. C’est des tas de jus et ça se fait tout seul au final. Des couches de peintures diluées, une un peu plus, une un peu moins, c’est presque teindre du tissus. Après oui, la composition, le choix des formes, je crois que maintenant j’ai une sorte de mécanisme... MHG: Presque de l’ordre du jeu? STB: Oui, c’est ça. MHG: Mais alors tu vois ce que tu dis, d’assembler des formes, des vibrations, parler de références... pourquoi la toile? Tu pourrais le faire différemment, par assemblage de matière, des collages, chose que tu as déjà fait... À Sortie 13, il y avait des panneaux de bois, des volumes... STB: Oui effectivement, c’est quelque chose auquel je pense. Je ne suis pas en train de changer mon style de peinture mais m’écarter de l’objet toile ça c’est possible. Après il y a aussi le rapport à l’objet esthétique qu’un tableau représente plus qu’un assemblage en fait. MHG: Tu veux parler d’une sorte de noblesse? Moi j’ai l’impression que tu es attaché à une dimension picturo-romantique, il y a quelque part un attachement à la peinture, à ce qu’elle représente en terme d’histoire et que du coup, l’objet c’est peut-être un peu vulgaire en comparaison. STB: Je crois qu’il y a une facilité à peindre sur une toile, tu es chez toi, tu montes une toile, tu la peins, c’est plus facile que de stocker des objets, c’est beaucoup plus simple, il y a un confort mais je suis attiré par le fait de travailler sur d’autres supports, je pense sincèrement que c’est juste une facilité pour l’instant. MHG: J’ai l’impression aussi que le tableau c’est quelque chose qui a été tellement galvaudé, peint, repeint, dépeint, percé que du coup ça devient un objet neutre en tout cas abordable. Du coup, si ni le marché ni la matière première ni le sujet ne fait la valeur d’une oeuvre, du coup qu’est-ce qu’il reste? L’ego, le référencement, les mathématiques? Oui d’ailleurs est-ce qu’il y a une dimension mathématique dans ton travail? STB: Non pas vraiment... en fait il y a quelque chose dont j’ai pas très envie d’exposer dans mon travail, d’expliquer sur ce que je suis mais j’ai un rapport très étroit avec les formes géométriques et mathématiques. En fait involontairement les formes géométriques me viennent, j’ai un rapport presque obsessionnel avec elles, je les repère naturellement. MHG: Donc il y a une sorte d’obsession à rationnaliser l’espace autour de toi... Et tu fais beaucoup de tests? STB: STB: Oui tout à fait. Avec un besoin de positionner ces formes et de donner du sens à tout cela, pas juste peindre parce que j’ai ce rapport avec les formes, il y a une dimension, une question de beauté, d’émotion, de séduction dans ces formes. MHG: Moi là, je suis en face d’un de tes tableaux, j’y vois une sorte de blaque graphique, on est quand même dans le rouge-noir-blanc... avec la forme, on sait tous de quoi on parle là. Et puis il y a ce rose au milieu qui vient, qui n’est pas à sa place dans l’autorité et qui vient la casser et faire la blague. Quand tu fais ça tu vois ces rapports-là? STB: Pas du tout, la manière dont je le fais à ce moment-là c’est que j’ai un carré, il faut absolument que je le divise en deux. Avec des L. Il y a d’abord une pr, je la trouve plus efficace quand elle était accrochée lors de l’expo d’avant (Le Retour de la Mort de la Peinture) et en fait ce que j’aime beaucoup à la fin, c’est de vivre une petite expérience visuelle, ça veut pas dire grand chose, mais en même temps, je ne veux pas juste voir un carré divisé en deux, je veux voir quelque chose qui peut déranger un peu comme un panneau, quelque chose qui va te stopper un peu. Comme ils étaient accrochés, on avait ces deux formes, ces quatre L noir et blanc qui du coup parlent entre eux plastiquement et à coté de ça, le vert et le bleu, le rouge et le rose qui embrouillent le truc tout en se rejoignant par la forme. Donc là on est dans la composition par l’accrochage et le dialogue entre deux peintures par la couleur. MHG: C’est là qu’on revient à l’acte de peindre, tu rejoues encore la composition, en multipliant les œuvres, en modifiant les manières d’accrocher... STB: Pour faire une référence à Peter Halley qui repeint plusieurs fois le même tableau avec des couleurs différentes, qui va quand même les accrocher les uns à coté des autres... Je pense que je vais finir par sortir de la toile et prochainement d’ailleurs, mais si aujourd’hui c’est par facilité, pas par purisme. MHG: En fait, il y a un truc qu’on a pas dit jusque là, c’est que la peinture ça traverse les siècles... STB: Mais en fait c’est plutôt la dimension de l’homme qui cherche à la conserver et pas tant elle qui traverse les siècles, elle ne se garde pas toute seule tu vois, c’est nous qui les gardons, je ne sais pas pourquoi... MHG: On a pas parlé de technique, que de l’acrylique? Quand tu peins , c’est combien d’heures par jour? STB: Oui, c’est plus pratique et moins nocif. Quand je peins, je ne ne peins pas pour une heure, si je peins c’est pour la journée. Si je commence une toile, ça ne doit pas traîner, j’en commence plusieurs en même temps et la peinture au scotch demande une organisation, c’est un peu comme la technique Dafflon, pour peindre le rouge, en admettant que j’ai peint le rose d’abord, je pose le scotch et repeins en rose la partie en rouge pour que le rose passe sous le scotch etc et puis tu repeins en blanc et puis en rouge, c’est une organisation, le plus long c’est de scotcher. MHG: Tu as déjà essayé d’arriver à ces formes sans le scotch? STB: Alors oui effectivement ça m’est arrivé, tu prends le temps, tu y arrives mais tu ressens plus l’effet coloriage, remplissage, tu rentres presque trop dans une technique classique où tu chiades la chose. Dès que tu scotches tu peux étaler avec de grosses brosses, c’est un autre geste. Là en passant la main tu peux sentir la matière mais la couleur apparait comme un aplat. MHG: Moi je rêverais de voir tes tableaux en moquette, ou en tapisserie... Parce qu’on a hyper envie de les toucher. STB: Tu vois Pierre Clerk, il a commencé la peinture parce que son père vendait des tapis et qu’il a passé toute son enfance à quatre pattes sur des tapis, et voilà c’est tout ce qu’il a fait... MHG: Et moi tu sais ce qu’il fait mon père? STB: Non MHG: Obstétricien. Interview réalisée le 01.02.2019 à 5UN7